Intervention Michèle Vianès, présidente de regards de femmes
Webinaire Homa Arjomand
Partout, dans l’espace et dans le temps, on observe les rapports de hiérarchie patriarcale et d’assujettissement des femmes. Quel est le poids des religions, clé du symbolique, dans la formation et le maintien de cette hiérarchie ?
Les religions ont été fixées par des hommes, pour les hommes. Les textes sacrés, transcrits, étudiés, commentés le furent aussi par ces mêmes hommes qui pendant des siècles eurent le monopole de l’accès à la culture. Dans toutes les religions, on retrouve les constantes misogynes qui ont abouti à la discrimination des femmes : elles ont été utilisées par les hommes et les Etats pour posséder le corps et l’esprit des femmes.
La hiérarchisation patriarcale homme/femme s’est construite dès les origines de l’humanité. Les hommes devaient avoir à leur disposition des femmes « pour que la race des hommes se perpétue ». Des philosophes grecs ont théorisé l’infériorité des femmes, le droit romain a légalisé la subordination des femmes.
Les religionsdepuis les originesde l’humanité ont mis en place la hiérarchie hommes/femmes. Les hommes ont cherché à expliquer la création du monde, à proposer des réponses à la questionfondamentale : Pourquoi les femmes ont-ellesle pouvoir exorbitant de donner naissanceaussi bien à des filles qu’à des garçons, pourquoiles hommes doivent nécessairement passer par une femme pour se reproduire à l’identique. ?
Pour que la race des hommes se perpétue, les H. doiventavoir à leur disposition une femme qui leur donnerades fils. Le désir d’immortalité les conduira à rendre un culte à leurs aïeux, de père en fils, donc de contrôler que leurs fils soient bien les leurs.
Des philosophes grecs ont théorisé l’infériorité des femmes, le droit romain a légalisé la subordination des femmes.
Toutes les explications avancéesmontraient la nécessitéde s’approprier des femmes et de pouvoir les maintenir à disposition dans leur fonctionde reproduction. La femme n’est qu’’un réceptacle.
Pour Aristote, un rapport est réussi si la semence impose le masculin . Donc la naissance d’une fille signe l’ échec de l’homme. Voilà comment la valorisation de l’homme s’est imposée, voila pourquoi encore aujourd’hui on observe lesinfanticides concernant les petites filles.
La place des femmes dans les discours philosophiques grecs : classer la différence sexuelle en rapport avec d’autres types de différences, pour mieux relever les incapacités des femmes.
En Grèce, Rome, les femmes sont des mineures sous la tutelle d’un maitre (Maurice Sartre). L’incapacité des femmes à transmettre la légitimité , l’ordre successoral est premier par rapport toutes les incapacités féminines. L’exclusion de la fonction de délibérer au nom d’autrui et pour les autres, donc l’exclusion de la
représentation de l’universel, a exclu les femmes du pouvoir politique. Le code Napoléon n’a rien inventé !
A Rome, l’incapacité des femmes à sacrifier, le refus de la visibilité des femmes aux cotés des dieux, interdiction des lieux sacrés sous prétexte d’impuretés a entrainé la diabolisation et les tabous qui ont justifié l’exclusion des femmes du pouvoir religieux.
Les grandes religions monothéistes font de la hiérarchie H/F l’ordre d’une Nature voulue et créée par leur Dieu. Comment les femmes peuvent accoucher de cette perfection humaine qu’est le spécimen mâle de l’humanité ?
Mais cette infériorité ne se constate pas seulement dans le monde méditerranéen
Traditions et religions ont expliqué les incapacités des femmes en faisant appel à la Nature. Elles ont interprété des faits biologiques, le premier d’entre eux étant le sang menstruel. Là va s’ouvrir le registre du pur et de l’impur, permettant de jouer sur toute la gamme du licite et de l’illicite, du permis et de l’interdit.
Pour le bouddhisme, menstrues et sang de l’accouchement condamnaient les femmes à tomber dans un enfer spécifique : l’Etang de Sang dont elles ne pouvaient échapper qu’après certains rites exécutés par des prêtres, moyennant finances.
Les femmes vont être dans le même temps intellectuellement stérilisées par une masse
d’obligations ridicules et tatillonnes (interdits alimentaires, tâches domestiques ritualisées, etc. ;). Obsession religieuse à chaque instant.
Femmes impures, femmes domestiques, femmes tentatrices : il va falloir cacher la femme. La matérialisation d’espaces séparés est également une constante : espace privé dévolu aux femmes, espace public aux hommes, mais également séparation (sexe et section appartiennent à la même famille de mots) dans les espaces communs : mehitsah : rideau dans le grand temple de Jérusalem, hijab séparation entre les femmes de Mahomet et les solliciteurs venus demander conseil au prophète ou sur elle-même dans l’espace public le voile afin que même dehors, elles soient dedans.
Séparer, rendre invisibles les femmes, mais les louer en tant que mère ou épouses vertueuses, et surtout en faire des servantes obéissantes.
Toutes les religions considèrent que les hommes subviennent aux besoins matériels de ces pauvres femmes
en échange de services domestiques, sexuels et maternels
Héritière des Lumières, « la Révolution est le moment historique de la découverte par la civilisation occidentale que les femmes peuvent avoir une place dans la cité, et non plus simplement dans l’ordre domestique » Elisabeth Sledziewski.
Affirmer que le passé n’est pas immuable et l’avenir différent du présent légitime un espace de revendications pour celles qui refusent d’être soumises parce que femmes. Reconnaître le statut d’individus aux uns entraîne qu’il le soit à tous « quels que soient leur religion, leur couleur ou leur sexe » (Condorcet).
Condorcet affirme, (1790) que l’instruction doit être commune aux hommes et aux femmes, publique, laïque et gratuite. Et surtout que les hommes ne peuvent être libres et égaux si la moitié du genre humain n’est pas libérée de ses entraves séculaires. Il dénonce le rôle des prêtres: en soumettant la sexualité et l’esprit des femmes à une autorité qu’on ne leur demande pas de comprendre, ils les « préparent à la servitude forcée ou volontaire ».
Les lois de Septembre 1792 établissent la laïcisation de l’Etat civil et le divorce : la femme peut choisir son mari et le quitter, les deux époux sont traités à égalité.
Mais l’immense majorité des Révolutionnaires est prise de vertige devant l’émancipation civile des femmes. La Convention ferme les Clubs de Femmes le 30 octobre 1793. Les Françaises sont renvoyées dans les bras des prêtres, leurs directeurs de conscience.
Il a fallu un siècle après les écrits de Condorcet pour que les grands républicains réalisent l’erreur. Pour Jules Ferry « celui qui tient la femme tient tout, c’est pour cela que l’Eglise veut retenir la femme, et c’est aussi pour cela qu’il faut que la démocratie la lui enlève ».
Le combat pour l’école laïque devient aussi un combat pour l’instruction féminine : des filles à la conscience libérée -et non des porte-drapeau des religieux- dans un espace public, celui de la raison et de la tolérance réciproque, organisé en tant que tel.
La création de l’Ecole laïque pour les deux sexes (loi du 2 mars 1882) est une première clé qui va permettre d’ouvrir aux filles l’accès à l’égalité des chances
3- Droits des femmes et autonomie par rapport aux religions La laïcité au service de l’égalité femmes/hommes
Les mouvements féministes font le lien entre l’éducation pour le métier et le revenu pour l’indépendance de chacune (avec les batailles juridiques pour en disposer).
Le préalable aux combats féminins du XX°siècle a été, puisque les règles de droit sont bafouées dans le privé, de poser comme principe que le privé doit devenir public, afin que la sphère privée n’apparaisse plus comme une zone de « non-droit ».
C’est par les revendications de disposer librement de leur corps, d’avoir la maîtrise de leur désir d’enfant que les femmes vont s’affranchir du poids des religions.
Partout dans le monde, en suivant des cheminements différents, les femmes vont s’affranchir du poids des religions par les revendications de disposer librement de leur corps, de leur esprit et d’avoir la maîtrise de leur désir d’enfant. Au milieu du xx° siècle, l’avancée des droits des femmes était visible dans tous les pays du monde.
La maitrise par les femmes de leur désir d’enfants, de leur autonomie financière, de leur corps et leur esprit a paniqué les machocrates qui ont appelé à leur secours les religions et le différencialisme pour tenter de faire régresser la situation des femmes.
Les fondamentalismes[1] religieux, ou prétendu tels, considèrent l’émancipation de la femme comme la cause de tous les fléaux de la société, maux qui disparaîtraient si l’on revenait aux conceptions théocratiques patriarcales de domination des hommes et à l’acceptation par les femmes de leur soumission.
Pour convaincre des femmes de revenir aux schémas patriarcaux théocratiques, la soumission à dieu se matérialisant sur terre par la soumission aux hommes, ils utilisent deux types de discours. Un discours hypocrite de protection des femmes et un discours d’intimidation : la menace de punition sur terre ou au ciel, c’est-à-dire éternelle si les femmes n’obéissent pas aux traditions,
La mainmise sur la fécondité et la sexualité des femmes a été et reste le moteur de l’oppression. Tous les extrémismes religieux, ou prétendu tels, se soutiennent. Les votes conjoints du Saint Siège, de la Pologne, des fondamentalistes protestants américains et des Etats musulmans dans les conférences internationales contre l’accès des femmes aux droits à disposer de leur corps en sont la preuve.
La stratégie mise en place par les hommes et les Etats qui utilisent l’islam pour convaincre les femmes de leur soumission leur permet en même temps de mener le combat contre les principes universels fondamentaux, dénoncés puisque « Occidentaux ». L’attaque se porte sur les esprits, avec la confusion volontaire entre le racisme qui concerne les personnes et la religion qui concerne les idées.
Les extrémistes religieux musulmans combattent en opposant au féminisme « occidental, blanc, colonisateur, voire esclavagiste », un « féminisme islamique ». L’émancipation des femmes viendrait de leur choix personnel, de leur consentement à se soumettre à dieu.
Ce qui permet ensuite à ces extrémistes d’opprimer tranquillement leur coreligionnaires, à commencer par les femmes, avec le soutien des différentialistes occidentaux qui acceptent une différence des droits pour les femmes, au nom de traditions religieuses. L’accusation d’ethnocentrisme proférée par ceux qui veulent enfermer les femmes dans les traditions patriarcales a un impact sur les benêts compassionnels. Des personnes (hommes ou femmes) considèrent que l’égalité en droit, principe universel, ne concerne que les Occidentaux et acceptent séparation et inégalité hommes/femmes pour celles qu’elles considèrent définitivement comme « non-occidentales », même s’ils et elles vivent en Occident depuis plusieurs générations !
Le relativisme culturel est du racisme puisqu’il interdit à des personnes de jouir des droits fondamentaux universels.
Il faut également répondre aux déclinologues sur la place qu’occupe la France dans le combat pour l’égalité hommes-femmes.
La France laïque est bien la référence pour des hommes et des femmes qui se battent partout dans le monde contre des traditions inégalitaires archaïques et théocratiques en sachant que leur idéal est inscrit dans la Constitution française. Celles et ceux qui vivent dans des pays où l’islam est religion d’Etat nous interpelle à juste titre : comment peuvent-ils dans leur pays réclamer les droits universels de la personne humaine, si en France, pays de la laïcité, par lâcheté ou compassion insensée, nous abandonnons nos compatriotes de confession ou de filiation musulmane aux diktats des extrémistes.
C’est également le modèle pour les pays communautaristes ou multiculturels qui n’ont pas l’outil de la laïcité pour réagir lorsqu’un groupe ethnique, réclame des droits différents pour leur communauté, en particulier lorsqu’il y a atteinte aux principes d’égalité hommes/femmes. La loi n’est pas la même pour tous et toutes.
Tous les rapports des experts dans le monde confirment que le développement d'un pays est lié à l'émancipation des femmes de ce pays. L'inégalité des sexes est la cause principale de la pauvreté et de l'exclusion, confirmant les idées de Condorcet.
Ne pas être dupe ou complice du discours englobant des fondamentalistes religieux, négation de l’autonomie de l’individu. Pour cela :
1-Affirmer les principes universels d’égale dignité des hommes et des femmes.
2- Refuser toute justification religieuse d’atteinte aux droits des femmes. Toutes les femmes et jeunes filles dans un pays ont les mêmes droits.
3- Dénoncer l’argument du relativisme culturel qui permet aux fondamentalistes religieux d’opprimer leurs coreligionnaires, à commencer par les femmes.
« La laïcité est un instrument critique de tout ordre qui se fige dans l’invocation d’une transcendance « divine » ou « civile ». Refus de sacraliser toute doctrine qui serait érigée en absolu échappant à la critique de l’esprit humain, d’essentialiser toute différence entre citoyens. » Georges Corm, Orient-Occident, la fracture imaginaire, 2002
[1] Fondamentalisme : concentration homogène doctrinale et disciplinaire entre les mains de chefs religieux qui réclament une obéissance sans limite. Ils considèrent les objections de la raison comme des tentations du démon et veulent convaincre que le monde serait perdu s’il ne rentrait corps et âme dans le cadre serré des traditions autoritaires. Tous les fondamentalismes sont englobant, règlent la vie quotidienne dans les moindres détails afin de toujours penser à Dieu (nourriture, repas et achats, vêtements, loisirs, vie sexuelle) Ils nécessitent claustration intellectuelle et crédulité.
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