Annie Sugier
SPORT, UNIVERSALITE, NEUTRALITE
Annie Sugier, présidente de la Ligue du Droit International des Femmes
Lutter contre le radicalisme islamique à travers l’olympisme.
L’un des objectifs de la Ligue du Droit International des Femmes, est en de promouvoir l’accès des femmes à tous les domaines, notamment au sport, sans restriction aucune liée à la culture ou à la religion, « sur la base de l’égalité entre l’homme et a femme », selon les termes de la CEDEF (Convention pour l’Elimination des Discriminations à l’Encontre des Femmes).
Notre combat s’est très vite concentré sur le stade olympique : un lieu international où s’applique une Loi unique -la Charte Olympique- fondée sur des « principes éthiques fondamentaux universels », notamment de non-discrimination (principe N°6) et de neutralité politique et religieuse ( règle 50.2), ( « aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ») une forme exigeante de laïcité s’appliquant non seulement au personnel d’encadrement, mais aussi aux utilisateurs des équipements sportifs dans un espace public.
A la différence des Conventions Internationales des Nations-Unies, telles que la CEDEF, qui font souvent l’objet de réserves de la part des Etats signataires, au nom du respect des religions et des cultures, la Charte Olympique s’applique avec rigueur et sans restriction. Le CIO a montré dans l’histoire sa capacité à sévir lorsque celle-ci n’était pas respectée.
Exemple : l’exclusion des athlètes noirs américains Tommie Smith et John Carlos aux JO de Mexico en 1968, pour avoir levé le poing en solidarité avec le Black Power. Ou encore, l’interdiction faite aux athlètes français en 2008, aux JO de Pékin, de porter un badge avec l’inscription « pour un monde meilleur » considérée comme une critique politique à l’égard du régime chinois. L’exemple le plus marquant demeure cependant l’exclusion pendant trente ans de l’Afrique du Sud pour cause d’apartheid racial (1962-1992).
La Charte Olympique constitue un formidable outil pédagogique au service de la notion d’universalisme des droits et des devoirs à l’adresse de la jeunesse du monde entier. Les JO sont en effet l’évènement culturel le plus populaire au monde mobilisant des athlètes des deux sexes, sous le regard de plus de 3,6 milliards de téléspectateurs – femmes et hommes- soit plus que la coupe du monde masculine de football[1].
Cela n’a pas échappé aux promoteurs d’un modèle sportif islamiste féminin ségrégationniste se caractérisant par le refus de la mixité, l’obligation du port de costumes couvrant le corps de la tête aux pieds, l’interdiction de certaines disciplines. Fallait-il encore convaincre le CIO de bafouer ses propres principes : ce sera fait dès 1996, aux JO d’Atlanta, avec l’entrée dans le stade de la première athlète voilée de la tête aux pieds, la tireuse iranienne, Lida Fariman, porte drapeau et seule femme de la délégation d’Iran, tout un symbole.
Depuis ce modèle sportif a fait tache d’huile.
Cela n’a pas non échappé aux sponsors qui ont vu s’ouvrir un marché considérable – « la mode modeste » étant estimée à près de 500 milliards de dollars en 2019[2]. Personne n’aura oublié la publicité de Nike présentant un groupe de jeunes sportives, toutes voilées, avec comme légende « Don’t change who you are. Change the world. Just do it ». Ni la poupée Barbie vêtue, à l’image de l’escrimeuse américaine Ibtihaj Muhammad, d’un uniforme islamiste. Pas plus que la tentative de Decathlon de commercialiser un hijab de course couvrant tout le corps de la sportive à l’exception de son visage.
En acceptant des conditions spécifiques et discriminatoires pour la pratique sportive féminine, les organisateurs des Jeux légitiment l’apartheid sexuel tel qu’il est imposé en Iran et en Arabie. Ils contribuent à propager une vision inégalitaire des relations filles garçons y compris en France. Ils font le lit du communautarisme et de la radicalisation islamiste.
Les principales étapes de notre combat :
Dès 1992, aux JO de Barcelone, le Comité Atlanta+, issu de la Ligue du Droit International des Femmes, a dénoncé l’absence de femmes de 35 délégations, et demandé au CIO de sanctionner les pays en cause. Cet acte fondateur est entré dans l’histoire de l’Olympisme (cf. le livre du CIO consacré aux cent ans de l’Olympisme : “En s’appuyant sur la Charte Olympique, qui interdit toute forme de discrimination au sein du Mouvement Olympique, la discrimination sexuelle y compris, la coalition Atlanta + presse publiquement le CIO d’interdire les Jeux d’Atlanta à toute délégation qui serait strictement composée d’athlètes masculins”[3].
Depuis lors, nous sommes intervenues à chaque JO, organisant des évènements et publiant des textes faisant le point des avancées obtenues et/ ou pointant les pays récalcitrants.
Ce n’est qu’en 2012 aux JO de Londres que toutes les délégations comportaient enfin des femmes ! Le CIO nous avait donc entendues. Mais en contrepartie, il avait accepté les conditions discriminatoires imposées par les théocraties islamistes à la participation des femmes aux Jeux. Alors que pour les hommes l’universalité se conçoit sans réserves, en cédant à ces diktats le CIO admet la cohabitation dans le stade olympique de deux modèles de développement du sport féminin : un modèle relevant de critères sportifs, et un modèle relevant de critères politico-religieux.
Ce compromis, non seulement n’est pas conforme avec la Charte Olympique, mais il met en danger les femmes de culture musulmane qui en respectent les principes.
Rappelons que les pionnières musulmanes du Maghreb, médaillées d’or aux JO, ont concouru jambes, bras et tête nus dans le respect de la Charte Olympique : qu’il s’agisse de la Marocaine Nawal El Moutawakel en 1984 aux JO de Los Angeles ; de l’Algérienne Hassiba Boulmerka en 1992 aux JO de Barcelone ; et de la Tunisienne, Habiba Ghribi, en 2012 aux JO de Londres . Toutes étaient menacées par les intégristes de leur pays.
Il convient de revenir sur ce compromis : tel est le sens de notre courrier du 23 juin 2019 au président du COJO Paris 2024[4] dans lequel nous lui demandons d’interpeller le CIO sur le non-respect de la Charte Olympique par l’Iran et l’Arabie Saoudite. Notre démarche est soutenue par plus de 100 associations et plus de 350 personnalités.
Le COJO devrait faire preuve du même courage moral que la Fédération Internationale de Boxe et que le Comité National Olympique Norvégien qui, dans les années 50, ont demandé au CIO l’exclusion de l’Afrique du Sud pour cause d’apartheid racial. L’apartheid sexuel quelle qu'en soit la motivation, ne devrait-il pas être condamné avec la même fermeté pour incompatibilité avec ces principes, et avec les termes du Serment olympique ?
On relèvera que déjà en Europe, des voix se font entendre pour refuser la tenue de compétitions sportives dans les pays qui ne respectent pas les droits fondamentaux des femmes, notamment à la suite du suicide par le feu de Sahar Khodayari devant le tribunal de Téhéran. Cette jeune femme supportrice de foot avait été arrêtée en mars alors qu’elle tentait d’entrer dans le stade Azadi, et encourait une lourde peine de prison pour ce « délit », l’Iran s’obstinant à interdire aux femmes d’entrer dans les stades.
Promotion d’un modèle sportif islamiste féminin.
Le modèle sportif islamiste féminin n’est pas né de nulle part ni par hasard. L’enquête que nous avons menée depuis les années 1990, nous a permis de mettre en évidence d’une part le rôle clé joué par l’Iran et d’autre part la complicité des réseaux femmes et sport dominés par des expertes universitaires anglo-saxonnes.
Au début de la décennie 1990, le président Rafsandjani organise à Téhéran trois Congrès sur le thème femmes, sport et solidarité, rassemblant plus de 20 pays islamiques. Dans son discours d’ouverture il déclare : « le sport pour les femmes d’aujourd’hui est un ‘must’ inévitable ; cependant le problème tient à la façon actuelle dont il se pratique dans les compétitions internationales et régionales ». Posant comme principe que « l’une des bases du monde musulman, dans le cadre de la Révolution Islamique, (est d’être) gouvernés par les règles de l’Islam », il conclut qu’il convient « d’éviter la corruption qui peut résulter de la présence simultanée d’hommes et de femmes athlètes dans un même lieu »[5]. Il s’agit donc bien d’imposer un apartheid sexuel, au détriment des femmes en se fondant sur une prescription religieuse.
A la suite de ces Congrès auront lieu tous les quatre ans des Jeux de la Solidarité Islamique pour les femmes d’où les hommes et les médias sont exclus sauf lors des cérémonies d’ouverture et de remise des médailles, quand les sportives ont remis leur tchador. Les premiers Jeux de la Solidarité se tiendront à Téhéran en 1993, avec la caution du CIO. Ils sont présentés comme « un modèle pour les femmes libres du monde ». Parallèlement, des envoyées de Téhéran se rendent aux différentes conférences internationales sur les femmes, avec pour mission d’obtenir un assouplissement des règles vestimentaires des Fédérations sportives.
Ainsi en 1994, lors de la première conférence internationale Femmes et Sport, organisé à Brighton, en Grande Bretagne, par le réseau femmes et sport européen, elles obtiennent l’organisation d’un séminaire « femmes, sport et islam » qui recommande : « le lobbying des organisations nationales et internationales de sport, en ce qui concerne les règles des compétitions internationales de telle sorte qu’elles soient inclusives et non excluantes. Cela porte particulièrement sur les vêtements, car des règles trop strictes peuvent exclure les musulmanes »
2008 constitue un nouveau tournant avec la publication de la Déclaration « Accepter et Respecter » s’adressant aux Fédérations Sportives Internationales en ces termes « Nous exhortons les fédérations sportives internationales à manifester leur attachement à l'intégration en veillant à ce que leur code vestimentaire pour les compétitions satisfasse aux exigences musulmanes, en tenant compte des principes de convenance, de sécurité et d'intégrité »[6]. Ce texte a été élaboré lors du séminaire international sur l’amélioration de l’intégration des musulmanes dans l'activité physique, co-organisé par l’université Sultan Qaboo ( Oman) et le réseau international femmes et sport IAPESGW[7].
Les Fédération Sportives Internationales céderont à cette injonction les unes après les autres. Puis ce sera au tour des organisations internationales institutionnelles de suivre la même évolution.
En 2011 le Conseil de l’Europe[8] recommande dans une guide sur l’égalité de genre dans le sport, que les conditions de la pratique sportive soient adaptées aux besoins des femmes ( plages horaires réservées aux femmes, tenir compte des caractéristiques spécifiques ethnoculturelles et ou religieuses et des demandes d’espaces non mixtes, d’entraineurs femmes, ainsi que la possibilité de porter le voile).
En 2013, à Berlin, lors de la 5-ème conférence internationale des ministres et hauts fonctionnaires responsables de l’éducation physique et du sport, est approuvée unanimement la Déclaration de Berlin stipulant qu’il faut « offrir des possibilités d’opter pour des tenues adaptées aux capacités comme aux spécificités culturelles, en particulier pour les femmes et les filles ».
Enfin en 2015, la Charte de l’UNESCO de 1978 sur l’éducation physique, l’activité physique et le sport, est révisée. La très belle phrase « le sport langage universel par excellence » disparait. L’article 1.3 stipule que : « tous les êtres humains, notamment les enfants d’âge préscolaire, les femmes et les filles, les personnes âgées, les handicapés et les populations autochtones, doivent se voir offrir des possibilités inclusives adaptées, sans risque de participer à l’éducation physique, à l’activité physique et au sport ».
En résumé, les femmes dans leur ensemble sont reléguées dans la catégorie des personnes vulnérables. La notion d’inclusivité remplace celle d’universalité des droits.
Une opportunité : la préparation de la Génération 2024 aux valeurs olympiques
Dans la perspective de l’organisation des Jeux, un programme de préparation des jeunes de la génération 2024 aux valeurs olympiques a été mis en place. Nous voulons saisir cette opportunité pour dénoncer l’interférence croissante du religieux dans la vie sociale, le cas du sport étant à ce titre exemplaire.Or il ne suffit pas d’invoquer la laïcité, car celle-ci souffre de plusieurs handicaps dans le contexte sportif et international qui nous occupe : Tout d’abord elle est considérée comme une spécificité française, ce qui est une façon de la dévaloriser aux yeux du reste du monde, alors même que ce principe nous apparait comme une condition fondamentale de l’égalité entre tous les citoyens quelles que soient leurs croyances, et plus particulièrement, de l’égalité entre les femmes et les hommes. Deuxième handicap, si on s’en tient strictement aux termes de la loi de 1905, la séparation des églises et de l’Etat concerne essentiellement les agents de l’Etat, et non le public en général, ni l’espace public[9]. Enfin, on constate un fossé de génération quant à la compréhension de la laïcité : les plus jeunes n’y voient qu’une loi de liberté excluant toute limitation de l’expression religieuse, surtout s’agissant de l’islam, limitation qui relèverait d’une forme de racisme.
En conclusion, il est encore temps de réagir et de faire en sorte que le choix de Paris réponde aux attentes qui ont été placés en lui. N’oublions pas que la candidature de Paris a été soutenue par plus de 50 métropoles dans le monde en ces termes : (Paris) « dispose des atouts et de la volonté nécessaires pour donner un nouveau souffle aux valeurs olympiques ». Le combat contre la radicalisation islamiste est avant tout un combat de valeurs et de modèle de société, où la place des femmes et la mixité sont des enjeux majeurs.
Pour en savoir plus :
- « Comment l’islamisme a perverti l’Olympisme », Annie Sugier, Linda Weil-Curiel et Gérard Biard, (Chryséis, 2018)
- « L’avenir d’une inclusion, le sport est-il vraiment universel ? », Annie Sugier, Linda Weil-Curiel, les Temps Modernes, https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2018-2-page-31.htm.,
- Le sport, lieu d’apprentissage de la règle unique, tribune dans le journal le Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/08/13/laicite-le-sport-lieu-d-apprentissage-d-une-regle-unique_5499000_3232.html
- La brochure Paris-2024 : Revenir à l’esprit e l’olympisme » ; www.ldif.asso.fr;
- Femmes voilées dans le sport, une offensive concertée ? Catherine Louveau, Annie Sugier, publié dans la revue Quel Sport ?, n° 35/36 (« Le règne du sport. Maintien de l’ordre sportif »), mai 2021, pp. 131-156. Voir le site : http://www.quelsport.org/les-numeros/quel-sport-n-35-36/
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[1] Sport et mondialisation, Points de vue du Sud, alternatives sud, CentreTricontinental et Ed. Syllepse, 2016 [2] « M », supplément magazine du journal Le monde, « La mode hisse les voiles », par Alice Pfeiffer, 30 avril 2016. [3] cf. volume III du livre « 1894-1994- Un siècle du Comité International Olympique, publié le CIO, 1996. [4] https://www.change.org/p/petition-paris-2024-appliquez-la-charte-olympique [5] THE FIRST MEETING, an illustrated report of the first islamic countries women sports solidarity games, February 1993, Tehran (diffusé par les ambassades d’Iran) [6] https://www.idan.dk/media/%7B0E3B9842-4BEF-4E3D-8BCD-52EBDEF74E73%7D/Press%20release.pdf [7] Association Internationale pour le Développement de l’Education Physique et du Sport pour les Filles et les Femmes [8] « Handbook on good practices » sur le thème : « Gendre equality in sports », EPAS/ Council of Europe, 2011 [9] Des guides ont été élaborés afin d’aider les personnels d’encadrement à gérer les conflits résultant de l’interférence du religieux dans le sport. L’UFOLEP (première fédération sportive multisports affinitaire de France) a publié « le C.O.D.E du sport et laïcité ». Le Ministère des sports a publié: «laïcité et fait religieux dans le champ du sport ». Ces guides proposent un message simple : la laïcité ne s’applique qu’aux professionnels relevant du statut d’agents publics.
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