Laure Caille
La Laïcité en France et sa relation avec les droits des femmes
En préalable il est utile de préciser, que la « sécularisation » de la société, c’est à dire la distanciation légale et morale du magister religieux, est le prérequis nécessaire mais non suffisant à l’instauration de la « Laïcité ». J’en veux pour preuve la difficulté à traduire ce terme français en d’autres langues, comme en témoigne l’intitulé même de ce colloque
La France incarne, de façon particulière, voire unique, une laïcité comprise à la fois comme socle législatif et organisationnel d’un pays mais également comme porteuse de valeurs et projet de société d’ensemble. Ce sont ces valeurs et ce projet que récusent ceux que j’appellerais les révisionnistes de la laïcité qui, se prétendant les gardiens de la loi de 1905 en, trahissent l’esprit et en altèrent la portée, notamment en affublant la laïcité de qualificatifs qui l’appauvrissent où la dénature : la laïcité « ouverte ? « apaisée » et, dernière-née, la laïcité « inclusive », ce qui est, soit un pléonasme, soit un détournement.
Dans un premier temps je ferai un rappel , forcément lapidaire , de ce qu’est la laïcité en France, sa spécificité historique et politique
Dans un deuxième temps, je rappellerai comment tous les dogmes et le pouvoir des Eglises s’opposent à la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes et comment la laïcité peut seule, permettre de s’en affranchir.
Enfin, j’aborderai ce qui m’apparait comme un phénomène aussi inquiétant qu’inattendu : une nouvelle irruption des religions, dans leurs formes les plus régressives, et les menaces que cela fait peser sur notre modèle laïque républicain;
Un peu d’histoire
Pour faire un rappel, forcément grossier dans le temps imparti, disons que la sécularisation de la société française remonte au XVIIIe siècle, à l’avènement de l’universalisme’ des Lumières, lorsque la science et la raison prennent le pas sur la croyance. Les Lumières, que résume bien le célèbre « Sapere aude » , « Ose savoir » de Kant[1]
La Révolution opère un renversement décisif en remettant en cause le monopole de l’Eglise dans ces moments hautement symboliques de la vie que sont la naissance, le mariage et la mort.
Le XIXe siècle se caractérise par la progression de la sécularisation de la société concomitante avec la montée en force du combat social et l’émergence de revendications spécifiquement féminines, pour ne pas dire féministes.
Dès la première première moitié du XIXe siècle d’ardentes militantes, comme les Saint-Simoniennes, ( oppression de classe/de genre)
Flora Tristan,militante socialiste et féministe, déclare ainsi en 1843,[2]. « L'homme le plus opprimé peut opprimer un être, qui est sa femme. Elle est le prolétaire du prolétaire même. Hubertine Auclert, figure pionnière, déclare, de même,
« Une République qui maintiendra les femmes dans une condition d'infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux ».[3]
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On voit là que nos néo féministes intersectionnelles du 21ème siècle qui croitent avoir tout inventé, n’ont fait que reprendre, ce concept de croisement cumulatif des discriminations déjà théorisé il Ya 200 ans, mais en le réduisant, de façon souvent caricaturale à la « racialisation » –avatar revisité du concept anti scientifique de race.
Militantes laïque et féministes : l’éducation des filles
« Si c’était la coutume d’envoyer les petites filles à l’école et de leur enseigner méthodiquement les sciences comme on le fait pour les garçons, elles comprendraient les difficultés d tous les arts et de routes les sciences aussi bien qu’eux », disait déjà, en 1405 Christine de Pisan, dans son livre visionnaire La Cité des dames
Cette demande est clairement formulée lors de la Révolution Française par des femmes et aussi des hommes comme Condorcet qui souhaitent faire accéder les femmes, « aux lumières de la connaissance et de la raison », e »t non les cantonner des institutions religieuses avec, comme matières d’études la religion et l’apprentissage de la tenue d’une maison.
Tout au long du 19ème siècle, les femmes, s’impliquent fortement dans l’instruction des filles, enjeu décisif d’égalité Il s’agit alors de faire progresser les idéaux républicains, et l’école est un des vecteurs essentiels de cette entreprise..
On retrouve des femmes comme, Pauline Roland ou Eugénie Niboyet, liées au courant Saint-Simonien.
La 2ème moitié du IXe siècle voit aussi l’engagement de « mères fondatrices » de l’école publique r, telles Pauline Kergomard qui créé l’école maternelle, avec un personnel laïc,
Elisa Lemonnier qui lance, en 1862, une « Société pour l’enseignement professionnel des filles « .
Grâce à Victor Duruy et Camille Sée, on assiste à la mise en place d’un réel enseignement secondaire public pour les filles. La fin du 19ème siècle voit la première bachelière 1861 Julie Daubié,.
La séparation
C’est la date de 9 décembre 1905 que la mémoire collective retiendra comme « la date » symbolique à laquelle la France devient un Etat laïque , par l’acte de « Séparation » [4] excluant, par la loi, le religieux dans le fonctionnement de l’Etat.
Article1 1 « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. »
Article 2 « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Sans se référer explicitement à la laïcité, la loi de 1905 en fixe le cadre qui est fondée sur deux grands principes : la liberté de conscience et le principe de séparation des églises et de l’État.
On ne répètera jamais assez que c’est la liberté de conscience qui est garante de la liberté de religion mais qu’elle ne s’y réduit pas et il y a de quoi être effarée quant on entend des politiques ou des institutionnels, au plus haut niveau de l’Etat, entretenir cette confusion, par leurs discours et, pour certains, par leurs alliances et en amalgamant par ignorance ou calcul, laïcité et œcuménisme.
En réalité, il faudra attendre la constitution de la IVème République du 27 octobre 1946 pour que le mot « laïque » soit inscrit en tant que tel (13ème alinéa)
« l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».
Puis, la Constitution de la Ve République 4 octobre 1958
Article 1 « La France est une république indivisible, laïque et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.
Dans la constitution de 1946, figure, en outre, dans le préambule, la déclaration suivante : « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, les droits égaux à ceux de l’homme. » La déclinaison politique de ce principe, telle que précisée dans le préambule de la constitution de 1958 « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » est quelque peu en retrait , avec la subtilité du « favorise », dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas un outil très contraignant, comme l’ont démontré les partis qui ont longtemps préféré s’acquitter d’amendes très conséquentes plutôt que d’accepter la règle de parité.
Au 20ème siècle, la laïcité, en tant que telle est absente des débats, puisque que, pour tous les Français, ce fait acquis, constitutif de notre République, est un non sujet.
Avec mai 68, les femmes découvrent que les organisations où elles militent reproduisent une hiérarchie des sexes similaire à celles de la bourgeoisie honnie. La lecture marxiste de la domination de classe ne rend pas compte d’une autre oppression spécifique: la domination masculine. C’est donc un mouvement féministe « autonome » émergent que ces années vont voir se développer, sans pour autant que son agenda soit prioritairement dirigé contre une emprise religieuse, bien que la libération sexuelle
C’est pourtant la question de la maîtrise des femmes sur leur fécondité qui va faire ressurgir le religieux dans le champ politique des années 70-80
Après avoir déclenché des hystéries parlementaires, la loi sur l’IVG va être le point d’appui des catholiques les plus fanatiques avec des séances de prières, enchaînés devant les cliniques qui pratiquent l’IVG puis l’envoi de commandos dans ces mêmes cliniques au mépris de la loi, de l’ordre public et de la sécurité des patients et des personnels. C’est aussi l’élection de Jean Paul II, en 1978, qui ne cesse de proclamer l'urgence de ‘réévangéliser' le vieux continent». Son action sera poursuivie et amplifiée par ses successeurs aussi bien Benoît XVI, protecteur de l’Opus dei, que le pape François, ami des pauvres mais pas vraiment des droits des femmes, puisqu’il n’hésite pas à comparer l’avortement à un « crime commandité à un tueur à gages »
Puis, c’est l’islam, la seconde religion en France, dont les pratiques les plus rigoristes et rétrogrades vont se développer, s’accompagnant d’un prosélytisme agressif.
La place que l’Islam politique entendait prendre en tant que volonté d’influence et de pouvoir dans le monde est venu en 1979 avec la venue au pouvoir en Iran de Khomeiny après son exil en France. Comme tous ceux qui allaient s’en inspirer, ou l’avaient devancé ,il p osa comme acte fondateur de la théocratie, le voilement des femmes. La résistance des iraniennes qui, en 1979 descendirent par dizaines de milliers pour refuser cet ensevelissement a été longtemps oublié ou occulté. Les évènements récents nous rappellent cette triste réalité, et les mouvements réprimées dans la violence, tels « my stealthy freedom » ( ma furtive liberté), où des femmes jettent le voile ségrégatif qui les opprime, en disent long sur la « liberté de choix » vestimentaire revendiquée par de prétendues féministes occidentales..
L’Ecole encore
On sait que c’est sur le terrain de l’école que le débat sur la laïcité a resurgi en 1989 autour du port du voile par des jeunes musulmanes, en classe , Il n’est évidemment pas fortuit que le terrain choisi par les militants de l’islam politique pour tester la résistance laïque et républicaine ait été celui de l’école, l’émancipation des jeunes filles par l’éducation étant toujours d’une brulante actualité. Que l’on pense à l’Afghanistan des talibans épisode 1 ou 2, dont la première interdiction, celle d’aller à l’école, préludant à toutes les autres qui, à des degrés divers ont toutes la même signification : la négation de tout droit au statut de sujet de la moitié féminine de l’humanité, au combat de Malala Youzafzai au Pakistan, à Boko Haram dont le nom même est tout un programme… scolaire si l’on ose dire ( Boko Haram= l’éducation (sous-entendu démoniaque de l’occident !) est un péché) .
Plus près encore, on a pu observer la montée en puissance d’établissements confessionnels que l’on a laissé se multiplier sans les contrôler et dont on s’étonne soudain de découvrir que l’on y professe la ségrégation des sexes et l’endoctrinement des esprits, quand ce n’est pas la haine de la République, y compris dans un établissement sous contrat, c’est-à-dire subventionné par les deniers publics[5],
La misogynie consubstantielle des religions
La domination patriarcale est celle prônée par toutes les religions, en particulier les 3 grands monothéismes. De L’épître de Paul de Tarse aux Corinthiens à la prière juive en passant par d’innombrables versets du Coran., l’invariant des textes est leur profonde misogynie.
Les Eglises récusent l'idée de l'égalité entre les sexes, et lui substituent l’inégalitaire notion de « complémentarité », où les femmes ont pour fonction de procréer et d’être les gardiennes -et parfois les tyrans- de l’espace domestique.[6]
La libération des femmes passe obligatoirement par la récusation des justifications pseudo théologiques d’un ordre systématiquement patriarcal : partout où la foi dit la loi, les femmes sont les premières victimes.
Les régressions
Après des années de combat des femmes pour leur émancipation, sont-elles, au 21ème siècle, en passe de revenir sous le boisseau des intégrismes et obscurantismes de tous poils ( c‘est le cas de dire car vous aurez remarqué combien nombre de ces docteurs de la fois quant à eux des systèmes pileux envahissants
- en Angleterre et de sa tolérance aux « sharia courts » ou cours de justice islamique, qui se substituent aux lois civiles et codifient la vie privée et familiale. Et que combat inlassablement notre amie Meriam Namazie, l’une des pilotes de ce webinaire
- la Turquie, triste cas d’école de la régression d’un pays autrefois laïque, et d’un régime, pour un temps présenté comme vitrine de « l’islam modéré », bien vite apparu pour ce qu’il était : une dictature brutale et violemment misogyne et homophobe, témoigne des régressions toujours possibles.
- Dans le pays de « l’axe du bien », c’est l’exigence d’ériger la mythologie créationniste au rang de doctrine scientifique, le droit de tirer au fusil sur des médecins ayant pratiqué l’IVG, de laisser croître et grandir, au nom de la liberté religieuse, des doctrines et pratiques mortifères
-Ici, en France, ce sont des Immans illuminés transformant leurs prêches en apologie des violences conjugales, justifiant le viol des femmes non voilées et forçant des fillettes à porter linceul
De fait, s’imposent, de par le monde, les formes les plus régressives de contestation de l’égalité entre tous les êtres humains, de leur liberté à penser et à disposer d’eux-mêmes, dont les femmes sont les premières cibles, tout particulièrement dans les pays sous religion d’état.
En France, dans un nombre croissant de quartiers, la pression sociale d’une doxa machiste, alimentée par des prêches fondamentalistes, aboutit à créer des enclaves qui s’alignent sur les théocraties les plus rétrogrades. A commencer par l’injonction du voile, et de ses dérivés ( burkini, hidjab de course, etc.) étendard de la
Car les intégrismes sont non seulement profondément misogynes mais ils sont ségrégationnistes. On assiste à des mécanismes insidieux d’interdits spatiaux et temporels qui empêchent les femmes d’investir autant que les hommes l’espace public urbain. Des quartiers entiers sont devenus sinon des cités interdites, à tout le moins des zones surveillées, quadrillées par de véritables polices des mœurs. Dans cet espace, comme dans les prisons, la promenade est sévèrement réglée : hors de trajets bien précis marché/domicile/école, c'est-à-dire dans de simples extensions occasionnelles de l’espace domestique.
Et maintenant ?
Alors que nous pensions le principe de laïcité définitivement acquis, que nous vivions sur la certitude de son intangibilité, ce principe qui garantit l’égalité de toutes et tous devant la loi est attaqué chaque jour avec une pression constante des représentants des religions qui interviennent dans le débat public et vilipendent la laïcité « exagérée » de la France, pour reprendre les termes utilisés par le pape François.
Alors, si la laïcité, ne permet pas l’instauration automatique et la garantie des droits des femmes, elle est un rempart précieux quand ces mêmes droits sont menacés, en rejetant la prise en compte de la pensée religieuse hors du débat législatif.
Observer une société du seul point de vue de la laïcité n’est pas suffisant au regard des droits des femmes car c’est faire abstraction de données qui ne relèvent que partiellement ou pas du tout de ce principe ( cf. interdiction du voile intégral) mais faire progresser les droits des femmes, c’est rencontrer, à un moment ou à un autre, la laïcité comme force, comme levier, comme rempart.
Pour contrastées que soient parfois les avancées respectives de la cause laïque et de celle des femmes et pour insuffisantes qu’elles puissent nous sembler, nous ne devons jamais perdre de vue l’essentiel : en créant les conditions du respect de la liberté des autres, la laïcité est le meilleur garant de sa propre liberté. Là où le communautarisme ne crée qu’une identité de la ségrégation et du rejet, l’idéal laïque, se propose de construire une identité de rassemblement. Sans laïcité, pas de liberté de conscience et soumission obligée à un référent hétéronome et coercitif , pas de possibilité de s’émanciper du déterminisme du clan, du groupe, pour qui la coutume et la loi divine doivent s’imposer.
Ceci est particulièrement vrai quand il s’agit de la défense des droits des femmes, de leur intégrité physique et morale, de l'affirmation de leur dignité. La libération des femmes passe obligatoirement par la récusation des diktats religieux et des justifications pseudo théologiques d’un ordre systématiquement patriarcal
C’est donc un étrange phénomène aujourd’hui, que ce pseudo féminisme confessionnel relativiste, différentialiste, voire ségrégationniste, que nous voyons fleurir aujourd’hui, avec la bénédiction aveugle ou complice, sincère ou intéressée de politiques et militant-e-s divers.
Et de voir que la soumission aux diktats du patriarcat religieux est légitimée par des universitaires, souvent sociologues et toujours doctrinaires ( église de sociologie) qui, par un étrange retournement dialectique en viennent à soutenir une philosophie différentialiste et ségrégationniste et à déclarer « stigmatisante », voire liberticide, la règle libératrice de neutralité politique et religieuse, qui permet, d’instituer des citoyens en devenir, de s’affranchir de leur « minorité » pour citer Kant, encore, et de leur permettre de dépasser toute « assignation », à une identité de clan ou de communauté
Nous croyions certains acquis définitifs mais la montée des intégrismes et fondamentalismes nous en fait mesurer la fragilité.
La litanie des attaques, de moins en moins voilées –si l’on ose dire- contre la République laïque, la remise en cause des valeurs universalistes, les régressions alarmantes auxquelles nous assistons, dans le monde et à nos portes mêmes, doivent nous interdire toute indifférence, compromission ou résignation
En ces temps d’inversion des mots et des valeurs, nous nous devons d’écouter ceux –et surtout celles- qui paient le plus lourd tribut à nos tergiversations et abandons face à la montée des obscurantismes.
Permettez-moi donc de citer Taslima Nasreen, première femme à avoir été menacée de mort par les islamistes de son pays, le Bangladesh :
« L'exil ressemble pour moi à une sorte d'arrêt de bus où j'attends qui me ramènera chez moi. Et cela fait plus de dix ans que cela dure; Car je ne me sens chez moi dans aucun pays, un sentiment quelque peu écrasant. A moins de considérer comme mon seul foyer l'attachement que me montrent tant de femmes dans le monde. L'affection que je reçois des rationalistes, des libres-penseurs, des humanistes et des défenseurs de la laïcité est, en fait, la seule vraie patrie qui me reste. »
[1] In Que sont les Lumières ? [2] CF ; Tour de France de l’Egalité de la Secrétaire d’Etat Marlène Schiappa [3] Discours au 3ème congrès national ouvrier 1878 [4] Cf ; le titre du film documentaire réalisé pour le centenaire de la loi de 1905, qui reconstitue le débat à partir des comptes rendus officiels des séances. [5] Les liaisons dangereuses entre la direction le lycée AVERROES de Lille, l’UOIF, officine succursale des frères musulmans et divers salafistes assumés sont avérées. [6] Domination masculine est un phénomène social travesti en ordre immuable, qu’Arnolphe rappelle à Agnès dans L’Ecole des Femmes « Votre sexe n'est là que pour la dépendance: Du côté de la barbe est la toute-puissance. Bien qu'on soit deux moitiés de la société, Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité; »
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